Salut soleil (qui sais mourir) ⟡ Camille Picquot
Publié dans Revue 02, n°97, juillet 2021
Salut soleil (qui sais mourir) dégage l’énergie d’un solstice, d’un jour sans fin, d’une nuit d’ivresse. La tension entre les corps éprouvés par la douleur ou le plaisir, la tendresse des étreintes ou la vivacité des nœuds et des agrippements sont comme les aléas d’un chemin initiatique. Le regard glisse le long d’une histoire fragmentée, sensuelle et doucement subversive. Les ombres s’opposent sans violence aux lumières claires et aux formes dessinées par le flash. Les photographies argentiques de Camille Picquot (née en 1990 en France ; vit et travaille à Bruxelles) balisent une aventure énigmatique pouvant rappeler celle de certains textes du poète-écrivain René Daumal1. Réunies pour la première fois au WIELS dans l’exposition « Regenerate », ses images abolissent le temps et la distance imposés par les époques successives des confinements. Camille Picquot fait de l’erreur et du décadrage une force poétique dont jaillissent des formes de hasard. Un oiseau mort flotte sur l’eau, des dents contrastent avec un visage cagoulé, un corps nu se tient debout et couvert de mousse blanche. Comme dans l’autoportrait au genou égratigné (Sand Sitting), les motifs disparates et teintés de bizarrerie saisissent par leur punctum2. En réaction possible aux regards fuyants des sujets, la main de Eye Ball nous attire avec un œil qu’elle tend en son creux. Si le geste souligne un écart entre les deux entités – une main peut-elle voir ? D’où vient cet œil ? –, il les relie aussi. Cette approche timide réveille le souvenir de l’implication primitive du corps aux prémices de la création des images. Ainsi Eye Ball pourrait résumer la globalité d’une démarche de réconciliation entre le voir et le toucher, l’image et sa matérialité. Partagé·e·s entre un instinct voyeur et l’envie de se glisser entre les corps nus endormis de Slumber, nous sommes invité·e·s. à habiter des interstices de contraires, à les caresser plutôt qu’à les opposer.
Dimensions variables.
Photographie argentique. Tirage pigmentaire sur dibond. Courtesy de l'artiste
- Le titre de la série est tiré du poème de René Daumal, Les Quatre Temps Cardinaux.
- Le « punctum » répond, chez Roland Barthes, au « studium », deux concepts qui cohabitent ensemble dans une image et qu’il développe dans La chambre claire (Cahiers du cinéma, Gallimard Seuil, 1980). « Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne). ».