I am crying because you are not crying ⟡ Claire Tabouret
Texte de l'exposition, Château de Boisgeloup, Gisors, 27.10 - 4.11.
Des sculptures, des oeuvres sur papier et une peinture sont exposées dans l’atelier de sculpture et la chapelle du Château de Boisgeloup, acquis par Pablo Picasso en juin 1930. C’est en réaction à la figure tutélaire de Picasso, dont découle la construction de ce double projet d’exposition, que l’artiste a pensé ses nouvelles oeuvres et le titre de l’exposition «I am crying because you are not crying». Marquée par La Femme qui pleure de 1937 et le visage déformé par la douleur de Dora Maar, Claire Tabouret a conçu cette nouvelle histoire comme une métaphore de la relation amoureuse. A travers la représentation de corps aux différentes étapes d’une épreuve de lutte, les figures représentées dans ses nouvelles oeuvres interrogent la tension érotique créatrice d’un couple et les tragédies de la rupture.
Les premières sculptures en plâtre créées par Claire Tabouret sont des représentations plastiques d’états d’âme instinctifs, de pulsions innées et incontrôlables. Chacun peut se reconnaître dans ces figures capables de transmettre une tension psychologique. Réalisée en plâtre modelé, matériau rappelant les oeuvres picassiennes produites au sein de l’atelier de Boisgeloup, la sculpture Holding Back (2018) symbolise toute la contradiction et la tension à l’oeuvre dans la représentation des lutteurs de Claire Tabouret. Délaissant la couleur des peintures pour la tridimensionnalité, les corps en prise représentés à échelle 1 s’animent ici par leur volume. Marquée par le côté impulsif et intuitif de Picasso décrit par Brassaï dans leurs conversations (Conversations avec Picasso, 1964), les nouvelles sculptures en plâtre de Claire Tabouret rendent hommage au lieu de vie et de travail du maître.
Les oeuvres sur papier (monotype) font écho à celles présentées dans l’exposition de Paris. Pour la réalisation de ces oeuvres, Claire Tabouret applique des encres à l’huile sur une plaque de plexiglas qui sèche une fois pressée au contact du papier. La plaque qui garde la trace du premier dessin, est ensuite transformée par l’ajout d’autres couches d’encres pour les pro-chaines oeuvres. Un langage pictural complémentaire à celui des peintures découle de cette technique. La question de la répétition, à la fois accidentelle et maîtrisée, est centrale dans ces oeuvres, où le motif des corps est décliné à l’infini. Les lutteurs de Claire Tabouret sont des archétypes aux corps éloignés de l’idéal de perfection classique, qui traduisent une tension, un paradoxe. Ici les corps représentés se sentent, dansent, veulent blesser mais se protègent, ils ouvrent un espace de sensibilité pour le visiteur. Leurs tentatives de lutte –presque gauches – suscitent de la tendresse et ressemblent plus à des embrassades qu’à de réelles prises. Cette étreinte-accolade incarne la quête constante d’un équilibre entre attaque et défense, succès et échec, agressivité et accueil, victoire et défaite. D’un chapitre à l’autre, «I am crying because you are not crying» témoigne de la double identification de Claire Tabouret à la femme qui pleure et au peintre qui peint la tragédie, annonçant la crise émotive née de la rencontre-lutte avec l’autre.